La Tunisie commence à faire peur aux sociétés étrangères

Alors que le gouvernement tunisien va peut-être tomber, contesté par les anti-Ennahda – le parti islamiste au pouvoir –, et que les manifestants des deux camps occupent la rue depuis l’assassinat, le 25 juillet, de l’opposant Mohamed Brahmi, les acteurs économiques du pays lancent un cri d’alarme.

« L’économie tunisienne agonise », a alerté Wided Bouchamaoui, la présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), le 1er août sur la chaîne Nessma TV. La patronne des patrons tunisiens a accusé l’équipe gouvernementale de passivité. « Depuis la fin 2012, nous avons appelé à décréter l’état d’urgence économique, à tranquilliser les investisseurs nationaux et internationaux (…). Mais nos appels n’ont aucune suite. »

Certains investisseurs extérieurs sont en effet inquiets par l’instabilité politique du pays, les actes de terrorisme, même si, pour l’instant, il n’y a jamais eu d’attentat ni même de menace d’attentat contre des intérêts économiques étrangers. Et la dégradation de BB– à B de la note donnée à la Tunisie par Standard & Poor’s, mi-août, ne va pas arranger les choses.

Cette frilosité se voit dans l’évolution des investissements étrangers et des emplois créés : 939 millions de dinars tunisiens (environ 425 millions d’euros) ont été injectés dans l’économie tunisienne au premier semestre 2013, qui ont permis la création de 2 610 emplois, contre 951 millions de dinars lors de la même période en 2012, et la création de 6 701 emplois, selon l’Agence de promotion des investissements extérieurs (FIPA). Comparé au premier semestre 2011, ces investissements sont en hausse de 21 %, mais en baisse de 13,9 % par rapport au premier semestre de 2010, avant la révolution.

« Il est plus difficile de convaincre les investisseurs de venir en Tunisie, à cause de l’image du pays donnée dans les médias », regrette Mokhtar Chouari, directeur du marketing international à la FIPA. Il existe pourtant tout un cadre favorable à l’investissement, avec des infrastructures d’accueil, un réservoir de diplômés, des incitations financières… « Les sociétés totalement exportatrices sont exonérées de l’impôt sur les bénéfices pendant dix ans. Le SMIC s’élève à 150 euros par mois. »

AVENIR INCERTAIN

Certains employeurs se demandent s’ils ne vont pas quitter le pays, d’autres ont déjà franchi le pas. Cinquante entreprises à participation française ont fermé en 2011 et 2012, contre 43 par an en moyenne sur la période 2000-2010. Celles qui ferment sont aussi italiennes (54 par an en 2011-2012), allemandes (14), etc.

Poumon économique de la Tunisie avec ses vastes zones industrielles, la région de Bizerte (nord) est victime de ces replis. Après la fermeture, le 10 juillet, des usines de l’italien Jal Group, spécialiste de la chaussure de sécurité, la multinationale allemande d’électronique automobile Continental Automotive a annoncé, fin juillet, son départ du pays d’ici au premier trimestre 2014. L’activité sera transférée à Rambouillet (Yvelines) et en République tchèque. Le groupe, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, emploie 400 personnes.

Béchir Sahbani, secrétaire régional du syndicat Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), à Bizerte, est surpris. « La direction n’avait jusqu’à présent jamais parlé de fermeture, dit-il. C’est une société dont le climat social est parmi les plus stables, avec un dialogue social poussé. » Pour lui, cette décision est « sans doute liée au climat des affaires en Tunisie. L’entreprise n’a probablement pas confiance dans l’avenir de notre pays ».

MOUVEMENTS SOCIAUX LOCALISÉS

Aujourd’hui, la Tunisie ne connaît pas de grèves, mais les mouvements sociaux localisés qui ont eu lieu depuis 2011 peuvent aussi avoir refroidi des investisseurs qui avaient choisi le pays pour ses faibles salaires et sa « tranquillité » sociale sous la présidence de Ben Ali. Elles ont découvert un autre visage du pays, avec des salariés qui luttent pour leurs revendications, comme dans n’importe quel Etat libre.

Le groupe Latécoère a ainsi connu des conflits sociaux fin 2012, qui ont dégradé sa rentabilité. Pour limiter les risques à l’avenir, une partie de la production a été rapatriée vers la France et le Mexique, indique l’équipementier aéronautique. La Tunisie ne représentera plus que 40 % de la production, contre 80 % jusqu’à présent. Le nombre de salariés tunisiens est passé de 900 à 700 en quelques mois.

« La Tunisie est dans un processus normal de démocratisation », souligne Thierry Courtaigne, vice-président du Medef International, qui ne sent pas chez les employeurs français d’envies de partir. Ceux qui ont vécu des conflits « avaient peut-être des habitudes un peu autocratiques. Ils doivent apprendre le dialogue social, adapter leur fonctionnement à la nouvelle Tunisie ».

Tout n’est pas noir cependant. Des multinationales continuent à s’installer, comme le français Bic, qui a ouvert une unité au printemps à Bizerte, avec une soixantaine de salariés et un investissement de 12 millions d’euros. « Quand nous décidons d’une implantation, nous nous projetons sur dix, vingt ou trente ans, indique-t-on chez Bic. Une incertitude liée à l’environnement ne change pas nos perspectives. »

« Tout doit être fait pour que, en répondant à leurs attentes, les pays retrouvent stabilité et prospérité, estime Thierry Courtaigne. Et je n’ai pas d’inquiétudes là-dessus. » Un espoir que partage Béchir Sahbani, de l’UGTT : « Les bonnes sociétés internationales savent que les compétences sont toujours présentes en Tunisie. Elles gardent confiance malgré les petits orages dus à la mauvaise gouvernance du pays. Elles ont conscience que les ouvriers et les syndicats les ont beaucoup aidées à assurer le travail. »

 

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